La statue

En ce dimanche gris et pluvieux digne d’un vrai mois d’Octobre, il n’y a rien de mieux à faire que de la poésie…

La statue

Frêle comme un oiseau tombé du paradis,
Seulement revêtue d’un halo de lumière,
Elle a franchi le seuil de l’atelier maudit,
Ce tombeau mystérieux mangé par la poussière.

Le vieux plancher de bois a gémi et pleuré
Lorsque les rayons bleus, anémones astrales,
Au royaume de l’Art tant de fois vénérés,
Ont déchiré la peau des ténèbres glaciales.

Blessée à mort, livrée aux dents de la douleur,
Plus glauque qu’un cocon grouillant de larves noires,
L’Ombre-Reine, vaincue par sa douce chaleur,
S’est vautré dans l’oubli de ses anciennes gloires.

A présent il n’est plus, en ce faste décor,
Un seul flocon de nuit au lit froid de l’Obscure.
Et pourtant la fragrance immonde du remord,
Laisse traîner sa robe entre les moisissures.

Des êtres de granit aux cœurs de marbre blanc,
Nés des mains tourmentées mais douces de l’artiste,
Sous d’immenses linceuls, attendent patiemment
Que la Muse revienne allumer leurs yeux tristes.

Déjà, sa main diaphane, éprise d’absolu,
A jeté sur le sol les voiles de soie rose,
Révélant la beauté de milliers de corps nus,
Vérité immobile, œuvre d’un virtuose.

Ils sont les figurants de notre Humanité,
Tous égaux au miroir de la voûte funeste.
Et dans l’œil du sculpteur où luit l’éternité,
Rien ne vaut la splendeur de leurs songes célestes.

Ici, le doux vieillard côtoie le né-nouveau ;
L’Homme et la Femme, enfin, s’épousent avec grâce ;
Le riche et le mendiant, devenus vrais jumeaux,
Laissent couler la haine au gouffre de l’espace.

Comme les papillons s’éteignent les mortels,
Et pour chacun la Mort couvre un ange de pierre.
Que les cœurs soient d’argent, de velours ou de fiel,
Face au Néant, toujours, s’unissent leurs prières.

Quel tendre te deum ou memento mori
A bien pu réciter la Blonde souveraine
Dans les draps vénéneux de ses dernières nuits,
Pour que le tout-puissant à la vie la ramène ?

Si elle a déserté les Royaumes Défunts,
C’est pour le retrouver, son étrange poète…
Hélas, il ne demeure, au milieu des parfums
De son génie d’antan, qu’un sinistre squelette.

Il dort là, immobile, au fond de l’atelier,
Les os étincelants et les orbites creuses.
Dans ce chaste sommeil, les longs bras décharnés
Etreignent la Statue aux formes généreuses.

Le crâne plein de rêve, éternel amoureux,
Repose sur l’ivoire ardent de sa poitrine,
Pareil à un enfant profondément heureux
Qui entendrait chanter les étoiles divines.

Pendant combien de temps a-t-il ainsi sculpté
Dans l’éclat mystérieux de vivantes opales
Les roses et les lys composant sa beauté,
Ce jardin où fleurit l’aurore boréale ?

Il a su capturer les charmes insolents
Et la mélancolie des princesses nordiques,
Extraire la froideur de ses yeux de serpent
Et changer son visage en lune romantique.

C’est une Ode à l’Amour et à l’Immensité
Qu’a gravé dans l’écorce invisible du monde
Son talent affamé d’une autre liberté…
…Avec lui la Faucheuse a compté les secondes.

Elle a bu la passion effroyable du deuil,
L’a fait se consumer en créant sans relâche,
Et lui ne savait pas qu’à travers le cercueil,
Son amie le voyait se tuer à la tâche :

Elle l’a vu défier Eros et Apollon,
Se détourner du Beau, convoiter le Sublime,
Quitter à tout jamais la voie de la raison
Pour peindre son reflet au miroir de l’abîme.

Dévoré par l’esprit des poètes anciens,
C’est lui qui l’a sauvée de l’oubli d’outre-tombe.
Comme un clown enchanté parmi les magiciens,
Il a ressuscité sa défunte colombe.

Elle peut maintenant s’en retourner en paix,
Laisser se diluer, dans la source nouvelle
De ses yeux, les soupirs et les mornes regrets
Qui alourdissent tant sa robe d’immortelle.

Rien ne pourra briser le cœur de leur amour,
Prisonnier à jamais de l’os et de la pierre,
Et quand l’Homme verra mourir son dernier jour,
Eux s’étreindront encore au ventre de la terre.

Illustration : Zdzislaw Beksinski

La statue

5 réflexions sur “La statue

    • Ode-Lune 6 juin 2016 / 15 h 43 min

      C’est vrai que c’est un sacré tableau ! 🙂

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  1. Cox' mous' 11 juin 2016 / 20 h 30 min

    Ha mais je l’ai déjà lu celui-là ! Ma mémoire étant ce qu’elle est, je ne saurais dire si tu l’as ou non retouché depuis, mais en tout cas, je le redécouvre avec un grand plaisir. C’est un texte magnifique, peut-être mon préféré parmi tes poèmes.

    D’ailleurs, je profite d’être ici pour vous demander une petite faveur à tous les deux. ESt-ce que vous pourriez -si ce n’est pas abuser- me transmettre l’intégral de vos oeuvres ? Ca ait un paquet je sais bien ^^ Mais j’aimerais bien pouvoir m’y replonger tranquillement de temps à autres sans avoir à courir de droite t de gauche pour les retrouver.

    vous voulez bien ? Alleeeeez;.. Siouplé, siouplé, siouplé

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    • Cox' mous' 11 juin 2016 / 20 h 32 min

      *l’intégrale
      **ça fait
      ***de droite et de gauche

      Désolé :p

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      • Ode-Lune 13 juin 2016 / 17 h 45 min

        Je ne l’ai pas du tout retouché celui-là.
        Enfin, pas depuis la dernière fois que tu l’as lu ! Parce qu’avant ça, j’ai dû le retoucher quelques dizaines de fois…

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